Aller au contenu principal
Fermer

L’éco : un beau projet, une mise en œuvre compliquée
information fournie par Le Cercle des économistes 02/03/2020 à 10:50

Christian de Boissieu
Christian de Boissieu

Christian de Boissieu

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Professeur Émérite d?économie

https://www.pantheonsorbonne.fr/accueil

L'éco devrait bientôt le franc CFA mais le projet doit encore être peaufiné.. (Crédits photo : Adobe Stock)

L'éco devrait bientôt le franc CFA mais le projet doit encore être peaufiné.. (Crédits photo : Adobe Stock)

En Afrique, une monnaie s'apprête à en chasser une autre. L'éco remplacera bientôt le franc CFA. Selon Christian de Boissieu, le projet doit être peaufiné car il existe encore de nombreux écueils possibles.

Le projet de lancement de l'éco, évoqué depuis longtemps et confirmé en décembre dernier à Abidjan par les présidents Ouattara et Macron, est ambitieux. Il consiste à instaurer entre les 15 pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) une union monétaire symbolisée par l'éco. Monnaie commune, venant se rajouter aux monnaies nationales, ou bien monnaie unique ayant vocation à remplacer les monnaies nationales comme l'est l'euro ? La réponse aujourd'hui n'est pas claire, mais le scénario de la monnaie unique dans la CEDEAO est dans les esprits.

L'éco est un projet fédérateur puisqu'il rassemble des pays anglophones, francophones et lusophones. Même certains pays, loin de l'Afrique de l'Ouest, manifestent de l'intérêt pour cette initiative (je pense par exemple à la Tunisie).

Un projet évolutif

Par ailleurs, l'éco est un projet évolutif. A Abidjan en décembre, ont été évoqués deux piliers du nouveau dispositif : l'ancrage de l'éco à l'euro et la garantie apportée par la France à la nouvelle monnaie. Lier l'éco à l'euro me semble une formule transitoire. A terme, il serait plus justifié d'ancrer l'éco sur un panier composé de trois monnaies, le dollar, l'euro et le yuan chinois (vu les liens Afrique/Chine), en tenant compte de la structure du commerce extérieur. Quant à la garantie apportée par la France, elle sert à démarrer l'éco mais n'a plus grand sens à partir du moment où les huit pays de l'UEMOA sortent du franc CFA et où le compte d'opérations auprès du Trésor français disparaît pour ces pays-là.

L'éco pourrait se révéler assez vite une solution gagnant-gagnant. L'Afrique de l'Ouest devrait y gagner en crédibilité monétaire, avec tout ce que cela permet, et l'Europe à travers la France devrait y voir une façon intelligente d'opérer la mutation nécessaire de la zone franc. En pratique, tout reste à faire !

Un calendrier déjà obsolète

Le calendrier annoncé – lancement de l'éco en 2020 – est déjà obsolète. On voit mal comment ce projet pourrait voir le jour avant au moins deux ou trois ans. D'abord parce que les conditions de sa mise en œuvre sont loin d'être respectées aujourd'hui. Les critères de convergence (taux d'inflation, déficit public, dette publique…) sont loin d'être vérifiés à 15 ; ils ne le sont déjà pas pour  tous les pays de l'UEMOA.

Et l'Afrique de l'Ouest fait, en l'espèce, la même erreur que l'Europe, en privilégiant des critères de convergence nominale plutôt que l'essentiel, la convergence réelle mesurée en termes de croissance, de productivité, d'emploi. Par ailleurs, et dans la durée, la réussite de l'éco supposerait un degré élevé de coordination budgétaire et fiscale dans la zone, ainsi qu'un volume suffisant de transferts publics centralisés au niveau de la CEDEAO. Autrement dit, une monnaie unique requiert une réelle gouvernance économique et politique à l'échelle de la CEDEAO. C'est l'une des leçons à retenir de la crise de la zone euro à partir de 2010. Ici, l'Europe ne doit pas servir de modèle pour l'Afrique mais d'expérience.

La difficulté de faire émerger um marché commun

Une monnaie unique doit pouvoir s'adosser à un marché financier suffisamment actif. Or, la juxtaposition de plusieurs marchés financiers émergents (Lagos, Accra, Abidjan, Dakar,…) ne fait pas un marché émergé, loin de là. En Europe, l'union bancaire a précédé l'union des marchés de capitaux, elle-même à peine esquissée. Pour la CEDEAO, je conseille plutôt la séquence inverse, donc de commencer par le rapprochement des marchés émergents concernés.

Dès janvier dernier, de graves fissures sont apparues. Le Nigéria et le Ghana contestent à la fois la procédure et le fond, recréant déjà une fracture entre pays anglophones et francophones. Ce n'est pas vraiment une surprise : on avait bien compris que pour l'éco comme pour l'euro, les défis à relever sont plus politiques que techniques.

0 commentaire

Signaler le commentaire

Fermer

A lire aussi

  • Un opérateur à la Bourse de New York, le 1er décembre 2025 ( AFP / CHARLY TRIBALLEAU )
    information fournie par AFP 23.12.2025 22:44 

    La Bourse de New York a terminé en hausse mardi, entraînée par l'image d'une économie américaine en bonne santé avec la publication d'une croissance au troisième trimestre supérieure aux attentes, malgré les craintes à l'égard de la politique monétaire. Le Dow ... Lire la suite

  • Des passants dans une rue animée du quartier de SoHo, à New York, le 21 décembre 2025 ( AFP / CHARLY TRIBALLEAU )
    information fournie par AFP 23.12.2025 22:33 

    Les Etats-Unis ont connu une croissance économique de 4,3% en rythme annualisé au troisième trimestre et cette accélération surprise, publiée mardi, montre selon le président Donald Trump que sa politique porte ses fruits. Un tel rythme de progression de la première ... Lire la suite

  • Un nouveau lot de documents publiés mardi par le gouvernement américain concernant l'affaire Epstein, le 23 décembre 2025 à Washington ( AFP / STAFF )
    information fournie par AFP 23.12.2025 22:32 

    Le nom de Donald Trump apparaît à de multiples reprises dans une nouvelle volée de documents de l'affaire Epstein publiés mardi, qui illustrent ses liens passés avec le criminel sexuel, retrouvé pendu dans sa cellule en 2019. Le ministère américain de la Justice ... Lire la suite

  • Des sapins de Noël installés sur un barrage de l'A64 par les agriculteurs en colère, le 22 décembre 2025 à Carbonne, en Haute-Garonne  ( AFP / Valentine CHAPUIS )
    information fournie par AFP 23.12.2025 21:19 

    Des agriculteurs mobilisés depuis une dizaine de jours contre la gestion gouvernementale de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), épizootie touchant les bovins, ont annoncé préparer leur réveillon de Noël sur les quelques barrages toujours maintenus dans le ... Lire la suite

Pages les plus populaires